Apropos d’Art et d’artistes, à propos de Culture, il n’y a pas urgence, soit. Prime la pandémie, prime l’économie. Mais il règne comme un mutisme, voilà des mois déjà. A ce train , on récoltera sûrement des regrets. Et d’abord nous avons toujours affaire à des métiers libres, livrés à eux-mêmes, s’exerçant sans protection publique, sans statut. Le corona exclut les spectacles, les théâtres bondés, «l’appropriation des nuits», il force néanmoins au chômage des populations entières de musiciens, de techniciens, de chanteurs, d’acteurs, de créateurs, «à la rue». En Europe, en Amérique, en Asie, des textes existent, des moyens, les arts sont sensibles, on a tout prévu. Ici, l’État est pris de court. Pas de réglementation. Pas de compensation.
Ce qui en résultera ? Ce que l’on regrettera, au bout ?
Des artistes en perte totale de confiance dans leur pays. Soixante ans d’indépendance, jusque durant le beylicat et durant le protectorat, cette caste fut toujours objet de soins, d’attentions, à des périodes, années 30-40 et sous Bourguiba notamment, comblée d’honneurs, symbole de toute une nation. On imagine mal une Tunisie fière et prospère sans l’empreinte d’une Saliha, d’un Riahi, d’un Aly ben Ayed, ou encore sous nos yeux, aujourd’hui, sans l’amour et le don de soi d’un Bouchnaq, d’un Jaïbi et d’un Nouri Bouzid. De cette fidélité, de cette fusion, que subsistera-t-il demain, après une telle négligence, après un tel abandon ?
Des Arts vidés, surtout. En panne «sèche» de création cette fois-ci. La création nous manque depuis trois décennies. Elle manque d’inspiration, elle manque d’innovation, elle manque d’argent. Là, après la terrible expérience du corona, il s’avère que l’Etat lui-même lui fait défaut.
Le mutisme inquiète davantage dans la Culture. Des artistes à l’abandon, des Arts en panne de création trouvent remèdes parfois. Mais des Cultures entières qui perdent le fil, qui ne reposent plus sur une politique, un projet, une vision, ne se rattrapent pratiquement jamais. Il y a incertitude déjà sur le sens de la Culture à nos yeux, aux yeux de nos gouvernants. Confusion est faite avec les arts et spectacles, alors que la Culture est une entité complète, à la fois mode de vie, éducation, initiation au savoir et au goût. Et l’incompréhension s’aggrave et se généralise sous différents ministères. Huit ou neuf se sont succédé depuis la révolution et la principale «référence culturelle» persiste: festivals et divertissements.
De projet, de vision, d’éducation, de savoir et de goût : hélas rien, plus rien.